Le salut

LE SALUT

Au dōjō, tout comme dans n’importe quelle activité quotidienne au Japon, le salut est une attitude empreinte de respect envers autrui ; le salut n’étant qu’une expression du Reigisahoo (Reigi : politesse ; Sahoo : étiquette), plus généralement appelée Reishiki et respectée dans les dōjō ; du moins, le devrait.

L’étiquette dans le dōjō n’est pas conçue pour glorifier les anciens, encore moins pour contribuer à un quelconque mysticisme des arts martiaux et n’a aucun rapport à une religion. Il ne s’agit seulement que du respect de bonnes manières permettant la discipline, un travail en sécurité et une disposition d’esprit ainsi qu’un engagement optimal lors des entraînements. Les saluts doivent être sincères dans l’esprit du dōjō kun.

L’idée que cette étiquette fasse appel à un cérémonial protocolaire complexe (voire désuet), idée couramment répandue chez les novices, est absolument injustifiée car les japonais ont, a contrario, l’art de réduire au minimum les gestes inutiles et d’aller à l’essentiel en parfaite harmonie. Pour s’en convaincre, observez une cérémonie du thé qui est élevée au rang d’Art avec ses Maîtres et ses écoles (Urasenke) : chaque geste est mesuré, simple et efficace.

Urasenke: la maison arrière de Sen; qui accepte les élèves (deshi) étrangers U - en opposition à Omotesenke ; la maison de devant [omote : devant] qui n’accepte pas les élèves étrangers.

Le salut adopté dans les arts martiaux, tant debout (Ristsurei) qu’assis (Zarei) est issu de la codification de la cérémonie du thé (Chanoyu), puis adaptée au port des armes et armures dans le bushido pour certains « aménagements » (les samouraïs[Bushi] en armures saluaient en inclinant uniquement la tête par exemple).

Deux formes de salut sont possibles, avec toutefois une multitude de variantes que nous ne mentionnerons que brièvement pour certaines, afin de comprendre qu’un éventail de subtilités est constant dans leReishiki.

Ritsurei (salut debout)[1]

Droit, mais pas rigide (ce n’est pas un salut militaire !), les paumes des mains le long des cuisses en position Musubi Dachi (Dachi : posture debout - talons collés, pieds à 45 degrés), puis on incline lentement le tronc vers l’avant (idéalement en expirant silencieusement), marquer un temps (inclinaison unique de 3 secondes si l’on se réfère strictement au Reishiki) avant de se redresser en position initiale (en inspirant).

A noter que pour un salut plus personnel ou empreint de grande humilité face à un hôte de rang élevé ou pour lequel on souhaite marquer un respect plus marqué, les mains sont posées plus avant sur les cuisses et non sur les côtés, voire complètement sur l’avant (généralement réservé aux intimes).

 

Zarei (salut assis)

La position traditionnelle assise nippone, en Seiza, utilisée dans tous les arts martiaux et dans la vie quotidienne japonaise est également issue du Chanoyu. Il est fréquent en Occident de s’assoir en commençant par fléchir la jambe gauche pour se positionner en Seiza. Il s’agit normalement de la jambe droite en premier ; vous verrez rarement une autre façon au Japon. Cela n’est plus d’une importance vitale aujourd’hui, mais il y a quelques siècles, avec un Katana « sashi omote » (sabre porté à la ceinture [Obi] à gauche ; tranchant de face), il aurait été imprudent de se tromper face à un adversaire ! Sahoo… mais avec Zanchin ! Toutefois, il est de coutume en Occident de se « mettre en seiza » dans les dōjō en commençant par la jambe gauche. Suivez la règle définie par votre sensei. Le Chanoyu, indique pour sa part que la seule règle (inapplicable dans un dōjō) est que l’on se positionne en seiza en fléchissant d’abord la jambe du côté de son hôte et lorsque l’on se relève (pour ne pas découvrir son entrejambe ce qui est impoli).En Iaido (art de dégainer le sabre), on fléchit les 2 genoux à partir de musubi dachi puis on pose au sol genou gauche, puis genou droit.

Ainsi, traditionnellement en karaté, toujours partant d’une position Musubi Dachi, on descend verticalement en fléchissant la jambe droite et en posant le genou au sol, le bol du pied (Koshi Bien que signifiant « hanche » en japonais, koshi désigne le bol du pied dans les arts matiaux.) restant au sol. Ensuite la jambe gauche, puis seulement lorsque l’on s’assied sur ses talons, les orteils des deux pieds se positionnent simultanément à plat sur le sol. Posture droite, légèrement sur l’avant, les bras détendus et fléchis le long du corps, les mains à plat le long et sur les cuisses. L’écartement des genoux est de deux poings fermés pour les hommes, d’un seul pour les femmes, les orteils peuvent se toucher mais pas se croiser (au plus, les deux gros orteils).

Quelque soit la façon dont on s'agenouille, il est impératif de bien s'aligner sur la position de l'élève à sa droite (sampai plus gradé) au moment de se mettre en seiza. On voit souvent des élèves très avancés et d'autres très reculés au lieu de former une unique ligne, bien parallèle au bord du tatami. Chacun respectant cette règle de s'aligner sur son sampai de droite, il est ainsi facile d'avoir une belle ligne.

Le salut se fait par l’inclinaison du buste droit en faisant glisser le long des cuisses les mains en commençant par la gauche pour venir se poser et se rejoindre, les deux index se touchant, au sol (bras légèrement fléchis, les fesses restant collées aux talons). Les doigts sont serrés, les 2 pouces et les 2 index joints forment un triangle au sol.

A la fin du cours, au moment de s'incliner, on peut prononcer les mots de remerciements en japonais
"Arigato gozaimasu" ありがとうございます。signifiant un "merci" de manière formelle et polie.

Après un bref temps mais marqué, l’on redresse le buste, les mains reprennent « en sens inverse » leurs positions sur les cuisses, puis on se relève en décollant d’abord les fesses des talons pour plier les orteils des deux pieds et poser le bol du pied au sol, on relève la jambe gauche en premier, puis la droite. Les pieds doivent immédiatement être positionnés en Musubi Dachi et éviter de faire un déplacement d’avant en arrière pour revenir à sa position de départ ou se rééquilibrer.

A noter qu’il est tout à fait admis au Japon que l’on salut « à genoux », et non pas en seiza pour peu que l’on se signale auparavant au sensei (généralement pour des raisons de douleurs ostéoarticulaires dans les genoux).

 

L’inclinaison et le regard dans les saluts

C’est ici que s’exprime le plus l’éventail de subtilités que l’on maîtrise avec le temps et la pratique. Concernant l’inclinaison, tant en Ritsurei qu’en Zarei, la codification ancestrale du Chanoyu, qui est la référence absolue du « savoir vivre » japonais, décrit trois niveaux (Shin, Gyo, So), fonction du rang ou du respect que l’on souhaite démontrer à la personne saluée. Par la suite, les contingences guerrières ont adaptées ces niveaux en fonction du risque d’attaque de l’adversaire (car on salue son adversaire et on le respecte). 

 

Ainsi, idéalement, en Ritsurei, lorsque l’on salue l’entrée dans le dōjō, ou en Zarei lorsque l’on salue le Maître, le sensei ou les sempai, on s’inclinera plus bas, sans découvrir la nuque toutefois, avec les yeux fermés ou mi-clos en signe de grand respect (Shin) et avec confiance. Il en va différemment lorsque vous saluerez en Ritsurei votre adversaire avant un kumite : restez vigilant (Zanchin) et ne le perdez pas de vue. Ainsi le salut sera plus bref avec le regard qui ne quitte pas votre adversaire. C’est ce même type de salut que vous utiliserez après une explication, qu’elle soit collective ou individuelle, du sensei ou d’un sempai ; elle fait partie de l’étiquette ; c’est une façon pour vous de remercier et d’indiquer que vous avez compris. Dans beaucoup de dōjō, ce salut est accompagné d’un « Osu ! » [Prononcer « Ouss ! »] sur lequel nous reviendrons dans un autre chapitre, notamment sur son origine et sa signification.

 

Le regard, est également une question de bon sens et de courtoisie. Lors d’un salut debout (Ritsurei) de votre adversaire, le fixer dans les yeux peut être perçu comme un défi (C’est toutefois ce qui est couramment pratiqué et recommandé avant un kumite dans les arts martiaux. Un signe de respect sincère vous fera baisser les yeux mais en observant au minimum les jambes de votre adversaire pour parer à toute attaque. La gestuelle du corps est également importante et peut traduire votre état d’esprit (fatigue, excitation, arrogance, peur, etc.). C’est la raison pour laquelle il est utile de la contrôler.

Le protocole des saluts en cours


La disposition des karateka dans un dōjō impose le protocole des saluts. Le portrait du Maître (G. Funakoshi, mais également souvent le fondateur d’un style ou d’une école) est apposé au mur (ou sur un autel) [kamiza] face aux kohai (élèves les moins gradés) alignés par grades [Shimoza]. Les sempai (« anciens » et plus gradés) sont souvent alignés sur le côté [Jozeki]. Le sensei (ou le sempai qui donne le cours) est positionné dos à Kamiza, face aux kohai.

Le salut se déroule en plusieurs phases :

Avant le début du cours :

- Alignement parfait des élèves dans le calme (qui ont préalablement arrangés leur tenue (karate-gi) face à Shimoza), dans une position d’attente (Hachiji Dachi), puis sur ordre du sampai le plus gradé (c'est toujours le sampai le plus gradé qui donne les ordres lors du salut) , position assise en Seiza (« Seiza ! »).

L'alignement de chaque élève sur l'élève à sa droite au moment de s'agenouiller permet que tous se retrouvent en seiza sur une seule et unique ligne face au sensei. Les genoux des élèves en seiza étant ainsi tous alignés.

- Sur ordre du sampai le plus gradé « Mokuso », court temps de méditation yeux clos jusqu’à nouvel ordre (« Mokuso Yame »)

- Le sensei se tourne alors vers Kamiza (ou Shomen), toujours en Seiza, puis sur ordre du sempai  :

- « Shomen Ni Rei » (littéralement « salut en face »). Salut du Maître fondateur par tous. Le sensei se tourne ensuite vers les kohai, puis :

- « Sensei Ni Rei ». Salut du sensei par les élèves (ou « Sempai Ni Rei » s’il s’agit d’un sempai remplaçant). Sensei ou le sempai qui donne le cours reste en Seiza ; il reçoit le salut avant de le rendre.

- Si les sempai sont positionnés « Joseki » (sur le côté), les kohai effectuent une légère rotation vers la droite pour leur faire face et les saluent avec « Otagani Rei ». Il s’agit du salut de tous les élèves entres-eux (Sensei peut également saluer en marque de respect pour ses élèves). Ce salut est souvent ignoré dans les dōjō occidentaux.

- Retour en Seiza « Shomen » (face), puis sur ordre du sampai « Kiritsu » (« debout ») retour en position Hachiji Dachi. 

Après la fin du cours :

 Le salut en fin de cours en Seiza est le même, à la différence qu’après méditation (Mokuso), le dōjō kun est récité (le sempai le plus gradé énonce à voix haute chaque précepte, repris ensuite par tous) avant les saluts « Shomen Ni Rei » ; « Sensei Ni Rei » (ou « Sampai Ni Rei ») et « Otagani Rei ».

Les cinq règles en japonais du Dojo Kun sont les suivantes :

一、人格完成に努むること

hitotsu, jinkaku kansei ni tsutomuru koto

Cherchez la perfection du caractère

一、誠の道を守ること

hitotsu, makoto no michi wo mamoru koto

Soyez fidèle

一、努力の精神を養うこと

hitotsu, doryōku no seishin wo yashinau koto

Soyez constant dans l'effort

一、礼儀を重んずること

hitotsu, reigi wo omonzuru koto

Respectez les autres

一、血気の勇を戒むること

hitotsu, kekki no yū wo imashimuru koto

Retenez toute conduite violente

L'enchainement chronologique du salut de fin de cours est ainsi :

- seiza

- mokuso

- mokuso yame

- dojo kun

- saluts au shomen, sensei (ou sampai) et éventuellement otagani

- kiritsu

- souvent suivi d'un dernier ritsurei et d'un osu rituel

Un salut peut être effectué uniquement debout (Ritsurei) en fin de cours, avec les mêmes saluts (Shomen, Sensei, Otagani) généralement par faute de temps , mais rarement en début de cours.

Le salut debout (ritsurei) servant aussi lorsque l'on entre et sort du tatami. Ainsi qu'au moment d'entrer et de sortir du dōjō (signe de respect au lieu d'entrainement et à "l'esprit" des anciens qui se sont entrainés avant nous à ce même endroit)

Après quelques cours, il s’agit d’automatismes. Ce sont toutefois des moments privilégiés pour se ressourcer et se concentrer avant et après des exercices. Ils ne doivent pas être perçus comme une contrainte « folklorique », et un minimum de pédagogie doit être entrepris pour les nouveaux venus, en particulier pour les plus jeunes.

Cette discipline vaut également plus généralement pour le Reishiki (« étiquette »), en ne permettant pas, par exemple, des tenues ou attitudes négligées, ou bavardages intempestifs  lors d’interruptions du cours pour des explications par le sensei. Les élèves pourront ainsi par exemple se mettre en Seiza ou Anza (« en tailleur ») pendant les explications du sensei ; ce qui a en outre l'avantage de permettre aux élèves placés derrière de mieux de voir les démonstrations du sensei.

Mais cette étiquette et ces saluts très codifiés relèvent toujours du bon sens, et sont en outre bien plus simples à exécuter que la lecture de leurs descriptions !

(Article rédigé par Lionel D.)